Lettre aux citoyens et compatriotes

Par Alaa ZEIDAN le 18-01-2017

Chers consœurs et confrères,
Chers étudiants en chirurgie dentaire,
Chers prothésistes, assistantes dentaires et autres professionnels du milieu dentaire,
Chers citoyens et compatriotes,

Je me permets de vous écrire au sujet des négociations engagées par l’Assurance Maladie et les syndicats dentaires, en vue de la rédaction d’un avenant pour permettre une revalorisation du tarif des soins, en contrepartie d’un plafonnement des prix des prothèses dentaires. L’objectif est en théorie de réévaluer les soins conservateurs et les actes de prévention, tout en fixant les prix des prothèses dentaires à un niveau raisonnable.

Avant de faire le point sur les discussions en cours, il convient de rappeler le fonctionnement du système de santé dentaire en France.

Il existe globalement 2 catégories d’actes :

– Les soins conservateurs et de prévention (traitements des caries avec des obturations, traitements endodontiques, extractions dentaires, détartrages…) : ces actes sont codés par l’Assurance Maladie, qui fixe également leurs tarifs sans que les praticiens ne puissent y faire des dépassements. Or, ceux-ci n’ont que peu augmenté depuis plusieurs décennies.

– Les soins prothétiques (appareils dentaires amovibles, couronnes dentaires…) : ces actes sont également codés et leur base de remboursement est fixée par l’Assurance Maladie, qui autorise les praticiens à recourir à des dépassements d’honoraires sur ces actes qui sont plus ou moins pris en charge par les mutuelles.

Il faut ajouter à cela quelques actes (implants dentaires, chirurgie parodontale…) sur lesquels l’Assurance Maladie n’effectue aucune prise en charge et pour lesquels les praticiens peuvent librement fixer leurs tarifs, ce qui leur permet de compenser la faible hausse du prix des soins conservateurs et préventifs.

Les soins conservateurs et préventifs représentent en moyenne 70% de l’activité d’un cabinet dentaire, contre 30% pour les soins prothétiques.

La profession dentaire souhaite obtenir une revalorisation conséquente de la valeur des actes conservateurs et préventifs, ce que l’Assurance Maladie a accepté en échange d’un plafonnement des tarifs des prothèses dentaires, d’où l’ouverture de négociations actuellement pour parvenir à un accord, faute de quoi le Ministère de la santé aura recours à un arbitrage.

Or, les premières propositions de l’Assurance Maladie ont été rejetées par les syndicats dentaires, qui les ont jugées très insuffisantes et inadaptées.

En effet, il a été proposé de revaloriser les soins conservateurs d’environ 30% et de plafonner les actes prothétiques afin de limiter le reste à charge pour le patient, sans toucher pour autant à la base de remboursement.

Au premier abord, beaucoup d’entre vous penseront que ces propositions sont le fruit d’un juste rééquilibrage qui permettra aux praticiens de ne pas être perdants et aux patients de pouvoir se faire soigner tout en limitant ce qui n’est pas remboursé.

Mais la réalité est tout autre, et les propositions de l’Assurance Maladie auraient de nombreux effets néfastes si elles venaient à être mises en œuvre.

En effet, il faut savoir que pour fonctionner correctement, un cabinet dentaire doit engager de nombreux frais (équipement, fournitures, frais de prothésiste, salaires des assistantes dentaires et du personnel d’entretien… et sans compter les charges salariales et patronales, les impôts et autres taxes) qui ont augmenté avec le temps de manière plus importante que les prix des actes dentaires.

Si les propositions de l’Assurance Maladie étaient adoptées :

– Du fait de la faible revalorisation des soins dentaires, les praticiens n’auraient pas les moyens d’investir dans du matériel et des produits plus modernes et d’appliquer des techniques de soins plus conservatrices, moins mutilantes et moins onéreuses que les prothèses dentaires, ce qui serait contraire aux données actuelles de la science.

– La prévention bucco-dentaire resterait absente : il est recommandé aux patients de consulter leur dentiste au moins une fois par an afin de les responsabiliser et de limiter le plus possible le recours à des traitements plus complexes et plus difficiles à mettre en œuvre. Or, il n’y a aucune mesure contraignante ou incitative dans ce qui a été proposé.

– Les praticiens se verraient contraints de devoir condenser leurs actes pour pouvoir rester rentables, ce qui serait assimilé à du travail à la chaîne et néfaste pour la qualité des soins.

– Les laboratoires de prothèse dentaire seraient en grand danger. En effet, pour réduire les coûts de fonctionnement de leur cabinet, certains praticiens seraient tentés de faire produire leurs prothèses à l’étranger (Maghreb, Turquie, Asie) où les tarifs sont moins élevés que pour des prothèses produites en France. Cela entraînerait une augmentation des délais de traitement, une absence de communication fondamentale entre le praticien et le prothésiste, mais aussi et surtout d’une part la pose de prothèses dentaires à la conformité plus que douteuse, et d’autre part la mise en danger des 3 800 laboratoires de prothèse en France qui pourrait se traduire par la perte de 19 000 emplois environ.

– Les cabinets dentaires ne pourraient plus engager des assistantes dentaires et du personnel d’entretien qui sont fondamentaux pour le fonctionnement d’un cabinet.

D’après tous les spécialistes de l’ergonomie et du management, il est aujourd’hui inconcevable qu’un cabinet dentaire puisse travailler sans assistante dentaire, et le personnel d’entretien est plus que nécessaire pour pouvoir assurer un minimum de propreté. Au final, plus de 15 000 assistantes dentaires se retrouveraient au chômage ou avec des salaires réduits au minimum, et cela sans compter tous les gens employés comme salariés. D’après un rapport de l’Observatoire des Métiers dans les Professions Libérales en 2012, plus de 40 000 personnes non dentistes ont un emploi dans un cabinet dentaire (assistante dentaire, personnel d’entretien, secrétaire…).

– Certains praticiens n’hésiteraient pas à augmenter leurs dépassements d’honoraires pour les actes pour lesquels c’est encore possible, actes qui sont le plus souvent non pris en charge par la Sécurité Sociale et très peu par les mutuelles. D’autres se déconventionneraient afin de pouvoir fixer librement leurs honoraires qui seraient bien plus élevés et, dans ce cas, les patients ne seraient plus remboursés. Dans ces deux cas de figure, les patients seraient contraints de payer plus cher tout en n’étant plus remboursés.

– D’après la profession, 30% des cabinets libéraux seraient contraints de fermer sauf si ils acceptent de se regrouper en des centres dentaires dits “low-cost” ou d’être affiliés à un réseau de mutuelle. Dans ces deux situations, ce seraient les mutuelles qui dicteraient le traitement adapté au patient en s’appuyant sur des logiques économiques et non scientifiques, ce qui aboutirait à une “dentisterie de masse” avec les conséquences qui ont été mises au grand jour avec l’affaire des centres Dentexia.

Un certain nombre de politiques, de médias et autres personnes répliqueront en affirmant que les dentistes sont des gens qui ne pensent qu’à leur argent au détriment de la santé de leurs patients et que les revendications de la profession dentaire amènerait à une détérioration de la santé bucco-dentaire des Français : c’est faux.

Pour preuve, chez nos voisins européens, les tarifs des actes conservateurs et préventifs sont en moyenne deux à trois fois plus élevés qu’en France, les prix des prothèses dentaires sont quasiment équivalents aux nôtres et dans certains pays (Allemagne, pays scandinaves), il est imposé aux patients une visite annuelle de contrôle en contrepartie d’un meilleur remboursement en cas de travaux plus complexes. Au final, cela permet aux praticiens chez nos voisins de pouvoir soigner leurs patients avec des techniques plus conservatrices et moins mutilantes, et aboutit à un plus faible nombre de dents cariées.

Pour conclure, les mesures proposées par l’Assurance Maladie et le Ministère de la Santé relèvent plus de la démagogie que d’une réelle volonté d’améliorer le système de soins dentaires en France et représentent de ce fait une menace et un danger pour la qualité de la dentisterie française, des milliers d’emplois et la santé bucco-dentaire des Français. Il faut absolument rappeler que le chirurgien-dentiste est un professionnel de santé, et non un commerçant.

C’est pour dénoncer cette logique que les étudiants en chirurgie dentaire se sont mis en grève dans les centres hospitaliers et qu’un appel à manifester le vendredi 27 janvier 2017 devant le siège de l’Assurance Maladie à Paris a été lancé.

Une remise en question profonde du fonctionnement du système de santé dentaire français est plus que jamais nécessaire.

Chers consœurs et confrères, étudiants en chirurgie dentaire, prothésistes, assistantes dentaires et autres professionnels de milieu dentaire, votre mobilisation est fondamentale et primordiale.

Chers citoyens et compatriotes, votre soutien est vital.

Dr Alaa ZEIDAN

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