Ubu et le serpent à plumes : le démantèlement de la santé bucco-dentaire en France

Par David MAILHES le 30-01-2017

Par David Mailhes, billet paru sur Médiapart le 27 janvier 2017

Aujourd’hui est prévue la signature de l’accord entre la Sécu et les dentistes sur leurs tarifs de rémunération, or les trois syndicats des chirurgiens-dentistes ont quitté la table des négociations. La filière dentaire manifeste aujourd’hui devant le siège de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie. Explication sur un développement qui compromet la santé bucco-dentaire des Français.

Définitions (source : Wikipedia)
Ubuesque : d’un comique grotesque et démesuré, poussé jusqu’à l’absurde. Vient du Père Ubu, personnage principal de « Ubu roi » d’Alfred Jarry, oeuvre dont le premier mot est « Merdre ».
Serpent à plumes : appelé Quetzalcoatl c’est la plus connue des divinités aztèques. Son frère maléfique, Tezcatlipoca, était vénéré par des sacrifices humains de grande ampleur.

Le sort des chirurgiens-dentistes n’intéresse personne. En période électorale qui plus est. Et les négociations menées ces derniers mois entre l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie (UNCAM) et les syndicats de cette profession, encore moins. Entamées le 20 septembre 2016, ces négociations voulues par la Ministre de la santé Marisol Touraine avaient pour objet la remise à plat complète du système qui régit l’activité des chirurgiens-dentistes, et sur lequel est fondé l’équilibre économique de la profession.

De quoi parle-t-on exactement? Les dentistes français ont accepté depuis des dizaines d’années de perdre de l’argent sur tous les soins courants et de prévention (caries, détartrages, dévitalisations, extractions, etc.) qu’ils prodiguent à leurs patients. Les tarifs de rémunération de ces actes sont fixés en effet par la Caisse d’Assurance Maladie et ne peuvent être dépassés (on parle de tarifs « opposables »). Ce sont les plus bas d’Europe.

Tarifs français de rémunération des actes dentaires les plus bas d’Europe

En contrepartie de cet auto-sacrifice obligé, les chirurgiens-dentistes ont le droit d’appliquer un dépassement d’honoraires sur les prothèses dentaires (couronnes, bridges, appareils amovibles, etc.). C’est à dire qu’ils peuvent les facturer à leurs patients plus cher que le prix fixé par la Sécurité Sociale—lequel n’est donc pas opposable. Or ce prix de référence ne couvre même pas le prix d’achat de la prothèse au laboratoire qui la fabrique, sans parler des frais de fonctionnement d’un cabinet (loyer, salaires, fournitures, matériel, etc.), et encore moins de la rémunération du temps passé par l’intéressé à travailler en bouche, faire des empreintes et placer, après l’avoir réglée, la prothèse au cours de plusieurs rendez-vous.

Ainsi, l’équilibre financier d’un cabinet dentaire repose-t-il uniquement sur cette incongruité qui consiste à travailler à perte sur une catégorie d’actes déterminés (les soins les plus courants), et à facturer une autre catégorie d’actes (les prothèses) de façon à compenser le manque à gagner sur les soins et à dégager une marge bénéficiaire pour la micro-entreprise qu’est un cabinet dentaire.

Une logique ubuesque préside à l’équilibre économique d’un cabinet dentaire

Cette situation est la raison pour laquelle ces coquins de dentistes sont régulièrement montrés du doigt par des médias à l’objectivité ébouriffante, qui dénoncent les marges exorbitantes dégagées entre le coût d’achat d’une prothèse et le tarif facturé au patient, sans donner jamais aucune explication quant à la logique ubuesque qui préside à l’équilibre économique d’un cabinet dentaire.

Une loi soi-disant protectrice (lois HPST 2009) contraint d’ailleurs désormais les praticiens à communiquer à leurs patients ce coût d’achat—comme si on contraignait un restaurateur à se justifier du prix de ses carottes afin que ses clients puissent juger de la pertinence de la plus-value générée par son travail.

Soulignons ici qu’outre les chirurgiens-dentistes, la Sécurité Sociale a elle aussi des comptes transparents connus annuellement. En revanche, le pouvoir politique ferme complaisamment les yeux sur le défaut d’information des bilans comptables des assurances complémentaires de santé malgré l’obligation qui leur est faite—sans doute est-il trop délicat de communiquer sur la part des cotisations encaissées qui est réellement reversée aux assurés en remboursement de leurs soins médicaux…

Revalorisation des tarifs sans cohérence avec les coûts réels

Cette situation particulière est aujourd’hui au cœur des négociations. La volonté de la Ministre est d’obtenir un plafonnement des tarifs des prothèses dentaires dans le but affiché de permettre à un plus grand nombre de patients d’accéder à ces soins onéreux. Ceci, en échange d’une revalorisation des tarifs de soins opposables. Rappelons que pour les patients les plus défavorisés existe déjà le système de la CMU, qui leur permet de se faire soigner sans aucune avance de trésorerie, à des tarifs imposés dont les cabinets dentaires assument entièrement la minoration.

Les chirurgiens-dentistes ne sont pas hostiles à une refonte cohérente du système, bien au contraire. Leur souhait est de soigner leurs patients « selon les données acquises de la science », comme ils s’y sont engagés en prêtant le serment d’Hippocrate lors de l’obtention de leur diplôme. Et ce, au juste prix des techniques modernes et préservatrices de l’organe dentaire qui sont utilisées dans tous les pays dits développés, des Etats-Unis au Japon, en passant par l’Allemagne ou même la Roumanie. Sauf en France! L’opposabilité du tarif des soins ne le permet pas, la rémunération actuelle ne couvrant même pas les coûts du matériel et des produits.

Hélas, malgré l’effort financier consentit par l’UNCAM pour revaloriser ces soins dits conservateurs (dont le but est de préserver au maximum les dents des patients) et de prévention (afin de ne pas avoir à soigner des dents en bonne santé), on reste très loin du compte. Aucun nouvel équilibre financier ne pourra être trouvé avec une majoration de 30% d’un tarif imposé déconnecté de toute réalité clinique, quand le coût réel de l’acte nécessiterait une revalorisation de… 300%. Les sommes affichées en dizaines de millions d’euros dans la presse ne doivent tromper personne—on peut toujours faire dire aux chiffres ce que l’on souhaite.

Un « règlement arbitral » doit décider de façon unilatérale du devenir de toute une filière

Au-delà du débat d’experts, c’est un nouvel équilibre permettant aux patients de bénéficier de soins de qualité qui est recherché et qui n’a pu être trouvé, conduisant les trois syndicats négociataires, de sensibilités variées, à refuser toute signature d’accord.

Dans un élan remarquable d’effort de conciliation, notre ministre de tutelle a annoncé le 27 octobre 2016 qu’en l’absence d’un accord entre les parties le 27 janvier 2017, elle imposerait un règlement arbitral—sorte de lettre de cachet qui déciderait de façon unilatérale du devenir, de l’organisation et de la rémunération de toute une filière représentant plusieurs professions.

Qui accepterait raisonnablement de négocier l’avenir de dizaines de milliers de personnes avec un fusil pointé sur le front? Marisol Touraine invente ainsi l’uberisation d’Etat, sorte de soviétisation d’une profession dite « libérale » au profit des lobbies financiers. En effet, il est à noter que pour l’instant, devant la faiblesse de l’enveloppe proposée par l’UNCAM, l’effort demandé repose sur les seules épaules des praticiens qui ne pourront le supporter financièrement.

Quid des mutuelles? Ces compagnies d’assurance se présentent comme des organismes protecteurs de leurs assurés. Il s’agit surtout d’entreprises remarquablement rentables. Depuis le 1er janvier 2016, la loi impose la mise en place d’une mutuelle d’entreprise pour tous les salariés, créant de fait un marché obligatoire et juteux pour les organismes complémentaires santé. Ces entités, dont les actifs boursiers et immobiliers dépassent déjà l’entendement, se livrent d’ailleurs un combat acharné à coups de campagnes publicitaires chiffrées en millions d’euros afin d’attirer à elles le plus grand nombre d’affiliés. Cette gabegie est honteuse ; les sommes ainsi dilapidées, si elles étaient consacrées à un meilleur remboursement des patients, pourraient certainement permettre de participer à un équilibre dans la refonte complète du système souhaitée par tous. Mais les mutuelles, dont la collusion avec nos élites dirigeantes mériterait d’être investiguée, n’ont pas été contraintes de s’asseoir à la table des négociations.

La qualité des soins en question

L’engagement professionnel des chirurgiens-dentistes consiste à prendre soin de la santé bucco-dentaire de leurs patients. Au terme d’un cycle minimum de six années d’études, le titre de « Docteur » qui leur est attribué leur confère la responsabilité intégrale des traitements qu’ils mettent en oeuvre et qu’ils devraient, à ce titre, être libres de choisir. En effet qui souhaiterait être soigné selon les techniques d’un autre âge? L’odontologie vit en ce début de 21ème siècle une passionnante révolution technique par l’intégration des technologies numériques ou encore l’avènement de l’implantologie, mais aussi une modification profonde des attentes des patients en terme d’esthétique et de confort. Les nouveaux outils thérapeutiques à la disposition des praticiens coûtent chers, et n’ont bien entendu rien à voir avec les rémunérations proposées par l’UNCAM. Les jeunes générations particulièrement, connectées via les réseaux sociaux à ce qui se fait de mieux au monde, sont en quête d’excellence et souhaitent proposer à leurs patients ces pratiques innovantes qui nécessitent de lourds investissements.

Cependant, comme la majorité de leurs concitoyens, ils souhaitent aussi gagner leur vie correctement. Et il n’est pas honteux de dire que certains d’entre eux n’ont pas choisi leur carrière professionnelle par amour de l’organe dentaire, mais parce qu’ils ont pris l’ascenseur social qui, grâce à un cursus scolaire et universitaire couronné de succès, leur a permis d’exercer une profession libérale qui présente à leurs yeux le double avantage de l’indépendance vis-à-vis d’un employeur—dans un monde en crise où l’ombre du chômage plane sur la vie professionnelle de beaucoup—et celui d’un niveau de vie confortable dépendant uniquement de la qualité de leur prestation et de la responsabilité des soins qu’ils prodiguent à leurs patients.

30% des cabinets dentaires voués à disparaître

Alors que va-t-il se passer? Si la Ministre impose son projet de tarification, l’équilibre économique des micro-entreprises que sont les cabinets dentaires sera rompu, et les chirurgiens-dentistes, qui se sont endettés pour investir dans leurs structures afin de prodiguer à leurs patients des soins de qualité, seront obligés de faire des économies pour survivre. D’après les simulations des syndicats professionnels, 30% des cabinets seraient même voués à disparaître.

Pour les survivants, la première source d’économie sera bien sûr la qualité des produits utilisés pour les soins comme pour les prothèses. Il faudra donc acheter le moins cher possible sans tenir compte de la pérennité des soins réalisables avec ces produits, ni de l’esthétique obtenue, puisque la rémunération des actes sera identique quel que soit le coût de revient entre une solution qualitative et une « low cost ». Bienvenue aux couronnes chinoises achetées 45 euros, quand elles sont payées environ 150 euros à un laboratoire de prothèse français. Mais la qualité de ce qui est placé en bouche et la satisfaction des patients comme des praticiens a un prix.

Adieu donc les prothésistes dentaires dont les dentistes sont les uniques clients.

45.000 emplois en jeu

La seconde source d’économie sera bien entendu réalisée sur la masse salariale des cabinets qui pèse lourd sur ces structures, étant donné le coût du travail en France. Adieu donc les assistantes dentaires, précieuses aides des chirurgiens-dentistes, garantes non seulement de la qualité de l’accueil de patients souvent apeurés, mais surtout de la stérilisation des instruments et donc du respect des normes d’asepsie des outils utilisés en bouche. Adieu aussi les secrétaires médicales qui gèrent l’administratif, que l’empilement permanent de nouvelles normes et d’obligations légales rend toujours plus contraignant, et qui permettent au praticien de se consacrer pleinement à l’acte de soins pour lequel il est consulté.

Sans parler des agents d’entretien qui permettent que les patients soient quotidiennement reçus dans des locaux propres et compatibles avec une activité de soins. Adieu enfin les sociétés de vente de matériel, puisque les praticiens ne pourront plus se permettre d’investir dans le renouvellement ou la mise à jour de leur plateau technique.

Marisol Touraine entend-elle réellement déstabiliser l’ensemble de la filière et mettre ainsi en danger plus de 45.000 d’emplois (assistantes, prothésistes et commerciaux du dentaire hors chirurgiens-dentistes) ?

Responsabilité à l’égard des patients

Par ailleurs, une autre économie sera sûrement trouvée sur le temps consacré à la réalisation de chaque acte. Le coût horaire d’un cabinet dentaire est tel que le praticien devra dorénavant chercher à coter le plus grand nombre possible d’actes faiblement rémunérés en un minimum de temps, plutôt que de consacrer le temps nécessaire à réaliser correctement le soin adapté à la situation de son patient, payé au prix du plateau technique et du temps passé.

Quel patient souhaiterait confier sa santé bucco-dentaire à un praticien qui arrêterait de s’occuper de lui toutes les 5 minutes pour répondre au téléphone, qui utiliserait des instruments nettoyés à la va-vite, qui ne prendrait plus le temps nécessaire pour réaliser correctement les actes préconisés, et qui serait contraint d’utiliser des produits bas de gamme? Aucun.

Quel praticien aspirerait à orienter ses choix thérapeutiques uniquement en fonction du prix qui lui est imposé, à ne tirer aucune gratification intellectuelle et éthique de l’acte qu’il a réalisé sur son patient? Aucun.

La Ministre de la santé semble avoir oublié que les chirurgiens-dentistes ne sont que des femmes et des hommes comme les autres, avec seulement deux mains, une vie de famille et éventuellement le besoin de reposer leurs organismes de temps en temps.

Son projet, déconnecté de toute réalité médicale, promet aux patients une insatisfaction légitime en raison de la faible qualité des soins qui leurs seront proposés; et aux chirurgiens-dentistes une vie professionnelle de frustration extrême, puisqu’ils seront pleinement conscients qu’ils n’exercent pas leur art comme ils devraient et souhaiteraient le faire, car cela ne sera pas comptablement possible.

Rappelons que l’odontologie est une discipline médicale qui ne tolère pas l’à-peu-près car la bouche est un milieu particulier dans lequel la plupart des soins, même correctement dispensés, ont une durée de vie limitée, et ceux mal conduits doivent être refaits très rapidement. Ainsi l’économie promise aux ménages n’est-elle, après la mise en place unilatérale du Tiers Payant obligatoire, qu’un écran de fumée électoraliste de plus, car la récurrence de la cotation d’actes mal réalisés—parce que trop faiblement rémunérés—coûtera au final plus cher à la Sécurité Sociale, et donc à tous les Français.

Il est trop facile de se limiter à une vision purement comptable et de décréter arbitrairement ce que doit être le prix d’une prestation sans rien connaitre de sa réalité clinique et technique, et d’en appeler à la déontologie et au sens des responsabilités des soignants vis-à-vis de leurs patients en ce qui concerne la qualité des soins. C’est justement au nom de cette responsabilité que les chirurgiens-dentistes se mobilisent.

Afin d’illustrer ce propos, et d’espérer convaincre notre ministre, citons cette étude américaine qui montre de façon scientifique que la baisse de rémunération des chirurgiens aux Etats-Unis n’a pas fait faire d’économie au système de remboursement, au contraire.

Prévention, prévention, prévention

Sous couvert d’imposer une mesure sociale permettant à un plus grand nombre de patients d’accéder à des soins de prothèse, Marisol Touraine offre en réalité à un certain électorat la mise au pas de toute une profession que des médias complices s’appliquent à torpiller en règle depuis de nombreuses années, sans que nos instances ordinales ni syndicales n’aient jugé opportun de la défendre.

On peut légitimement s’interroger sur la qualité des enquêtes d’opinion qui ont servi de prétexte à la mise en place de ces négociations — pourtant souhaitées par la profession, mais sûrement dans un autre contexte. Le problème d’accès aux soins ne réside pas tant dans le coût que dans la façon dont nos concitoyens perçoivent leur propre santé en l’absence d’une culture de la prévention (si ce sujet vous intéresse, allez voir ici,  et )

Rappelons à toute fin utile, que nous naissons (presque) tous avec le même nombre de dents, le même capital santé, et que dans la majorité des cas, les chirurgiens-dentistes sont conduits à intervenir en raison d’un défaut d’entretien de ce capital initial. Le niveau moyen de l’hygiène bucco-dentaire des Français est extrêmement faible par-rapport à des pays comparables et la déresponsabilisation permanente des patients, acteurs majeurs de leur propre santé, en est en grande partie responsable. En Amérique du Nord, en Italie, dans les pays scandinaves, où les soins dentaires sont facturés à leur vrais prix, c’est à dire jusqu’à 10 fois plus cher qu’en France, la prise de conscience de la qualité du brossage et de l’importance de la prévention avec des visites de contrôle régulières, est beaucoup plus importante, car l’objectif des patients est d’éviter de se faire soigner.

Dans un pays où l’Etat est obligé de dépenser des millions d’euros dans des campagnes d’information afin de rappeler à tous que « les antibiotiques, c’est pas automatique, » au lieu de les consacrer au remboursement ; un pays qui est parmi les plus gros consommateurs de somnifères, d’anxiolytiques, où les patients n’ont aucune idée de ce que coûtent leurs traitements puisqu’ils ne déboursent pas un centime au comptoir des pharmacies, ou la déresponsabilisation des patients est telle qu’ils ont peur d’être en mauvaise santé s’ils n’ont pas de médicaments à avaler, Marisol Touraine choisit de poursuivre dans cette impasse.

Cession progressive de notre système de santé aux assureurs privés

A moins que les motivations réelles de notre classe politique ne soient autres, et qu’il s’agisse, comme chez les Aztèques de la fin du XVème siècle, de sacrifier l’ensemble d’une population à Tezcatlipoca, frère de Quetzalcoatl le Dieu Serpent à plumes. Qui se cache derrière le masque de ce Dieu de la nuit et de la mort, si ce n’est le lobby des assureurs privés, qui ont déjà pris la main sur une grande partie de notre système de santé, et dont le pouvoir est régulièrement renforcé par nos dirigeants.

Car sous couvert de préserver à tout prix notre fameux « modèle social français, » que le monde entier nous envie mais que bizarrement aucun pays n’a su copier, c’est une cession progressive de notre système de santé aux assureurs privés à laquelle nous assistons en silence. En effet, certaines pratiques sont courantes dans le monde de l’entreprise et de la finance, mais inavouables à l’échelle d’un Etat qui se veut providentiel. Comme le révèle l’ampleur de notre dette nationale, notre pays n’a plus les moyens de ses ambitions. Mais la santé coûte cher, et chacun aspire à bénéficier des techniques les plus innovantes lorsque cela s’avère nécessaire pour soi ou ses proches. Il s’agit d’une équation particulièrement difficile à résoudre, mais ce n’est pas en continuant à bercer les électeurs d’illusion, à défaut de leur dire la vérité, ni en clouant au pilori une profession bouc-émissaire, que nous progresserons.

La position particulière des chirurgiens-dentistes dont l’activité tient à la fois de la médecine et de l’esthétique, leur faible nombre, leur défaut de représentation, leur mauvaise image dans l’opinion publique—issue d’un travail de sape de longue haleine sur plusieurs fronts—en font une proie idéale pour ceux qui veulent s’approprier le marché de l’odontologie et celui de la santé en général. Praticiens salariés, gestion des centres mutualistes par des administratifs rompus aux techniques du commerce — ce n’est pourtant pas en multipliant les intermédiaires à rémunérer entre un patient et son praticien que les sommes consacrées aux soins seront plus importantes ni les remboursements meilleurs.

Remise en question de l’égalité de l’accès aux soins

Cette histoire sordide aurait presque pu être comique si elle n’était absolument vraie et si elle n’engageait pas le futur de la santé bucco-dentaire de tous les Français.

Car ce qui est promis aux patients, c’est un système de santé à trois vitesses :

– Pour les plus démunis, une possibilité d’accès aux soins de base articulée autour de structures gérées par des associations humanitaires ou des centres hospitalo-universitaires.
– Pour le plus grand nombre, des centres de soins tenus par les organismes mutualistes auxquels ils sont affiliés de force en raison du contrat d’entreprise qui prévaut depuis le 1er janvier 2016 ; ou pire, des cabinets individuels inféodés à ces mêmes mutuelles, qui se verront imposer une rémunération réduite par leur client unique, en échange d’un afflux de patients. C’est le système américain, l’âge de la dentisterie « Groupon », et dans tous les cas la fin du libre choix du praticien par le patient quels qu’en soient les critères, ce qui est une extrême privation de liberté pour l’ensemble de nos concitoyens sans que cela semble choquer personne.
– Pour les plus fortunés, des cabinets libéraux aux prestations haut-de-gamme, déconventionnés, c’est-à-dire fonctionnant hors du cadre de la Sécurité Sociale, libres d’appliquer les honoraires qu’ils souhaitent sans que les patients puissent bénéficier de remboursements.

Il est regrettable de constater que notre Ministre se trompe de direction, et que sous prétexte d’une mesure sociale, elle envisage de remettre en question l’égalité de l’accès aux soins. Le signal qui est envoyé est même très négatif sur le plan sociétal, car il sonne le glas des professions libérales, et de l’ascenseur social porteur d’espoir qu’elles représentent pour des jeunes en quête d’accomplissement professionnel.

Les chirurgiens-dentistes sont avant tout des soignants dont le quotidien est rythmé par l’empathie, et non pas des bandits assoiffés de profit tels que certains veulent les présenter. Ils n’ont nul besoin de l’encadrement soviétique de la profession qui leur est promis. Au contraire, la libéralisation de la profession, entraînant une concurrence encadrée et raisonnée, permettrait de mettre en avant la qualité des soins proposés, de pousser chaque praticien à plus de formation et d’investissement, et de faire émerger un prix de marché.

La prévention et la responsabilisation des patients comme acteurs majeurs de leur propre santé est bien entendu l’axe principal sur lequel nos dirigeants politiques devraient se focaliser.

Lire ce billet sur Médiapart

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