
Policy Lab – Rencontre avec Marco Mazevet
Interview Par Dentalespace le 04-10-2017Dr Mazevet, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le Policy Lab ?
Le Policy Lab, ou laboratoire de politique, qui s’est tenu en juin dernier à Londres, est une initiative de l’Alliance pour un futur sans caries (ACFF), menée par les départements Odontologie et Sciences politiques du King’s College de Londres. L’objectif était de constituer un groupe de travail sur deux jours, visant à répondre à la question suivante : Comment faciliter une augmentation des ressources en faveur de la prévention carieuse ?
Qui étaient les participants ?
Nous avons décidé de travailler avec 6 groupes d’acteurs liés au milieu de l’Odontologie et des « décideurs ».
Nous avons ainsi réuni des universitaires (santé publique et cliniciens), un syndicat, le gouvernement britannique, des industriels, des économistes de la santé et des spécialistes en sciences politiques.
Comment s’est déroulé le laboratoire ?
Le secteur de la santé est, de réputation, fragmenté : les différents acteurs peuvent avoir une vision partielle de la réalité, et les solutions proposées parfois incompatibles avec les contraintes des autres parties. L’essentiel du travail était de permettre à des gens qui ne se côtoient habituellement pas de travailler sur une problématique commune.
Nous avons commencé par un état des lieux, tant en cariologie, qu’en économie de la santé, et politique de santé. Le reste du laboratoire s’est déroulé en une succession de petits groupes mixtes, mise en commun des résultats puis élaboration d’un plan d’action.
Les participants avaient-ils des opinions différentes sur le sujet de la prévention ?
Oui, incontestablement. C’était très révélateur, à une échelle plus restreinte, des incompréhensions qui règnent entre les différents acteurs. A titre d’exemple, la prévention ne signifie pas (du tout) la même chose à un économiste, à un spécialiste en politique, ou à un clinicien.
Les cliniciens étaient persuadés en début de séance que la prévention pouvait faire économiser de l’argent, les économistes de la santé et les politiques de l’avis contraire. Il est très important de définir précisément les termes.
Pour citer un exemple, une consultation annuelle de prévention généralisée à l’ensemble de la population de 30 euros génère ainsi 2 milliards de dépense en plus, sur une dépense totale de 10,7. Si cette consultation ne permet pas d’éviter 2 milliards de dépense en soins, c’est une dépense en plus. Son efficacité doit être anticipée pour la justifier, le cas échéant un transfert d’allocation s’opère d’autres actes. Sans entrer dans des calculs de modélisation complexe, il est important de garder ces ordres de grandeur en tête.
L’objectif de l’ACFF est assez simple : permettre à une génération d’enfants de rester dépourvus de caries ayant atteint un stade cavitaire (ICDAS5-6, ICCMS E) pendant toute leur vie.
Nous connaissons désormais les moyens scientifiques et cliniques de mettre en œuvre des protocoles le permettant, avec une efficacité mesurable, cependant l’implémentation dans la pratique demeure le principal problème. D’où la question de départ !
Quels sont donc les obstacles à cette mise en place de protocoles préventifs ?
Deux constats de base : nous n’avons que très peu de données économiques sur la prévention carieuse et en économie de la santé dentaire en général, en termes d’impact global, ainsi que sur les rapports coût-efficacité des traitements que l’on propose. Nous ne savons pas ce que peut représenter un futur sans caries (ICDAS5-6) économiquement parlant, ainsi que la valeur monétaire que les patients peuvent accorder à une santé orale fonctionnelle (utilité). Il est ainsi difficile de prioriser les allocations budgétaires favorisant la prévention, vis-à-vis du chemin curatif classique, d’une manière cohérente avec les recommandations médico-économiques actuelles. Il existe très peu d’études actuelles permettant de quantifier l’impact financier de mise en place de protocoles préventifs généralisés, ainsi que de leur efficacité.
Le deuxième problème principal est celui de la tarification. La plupart des systèmes de paiements ont été construits sur de la tarification à l’acte, qui favorise généralement l’activité curative et restauratrice et ne valorise que peu la prévention et le contrôle des lésions (Brocklehurst, 2016)
Un praticien, dont les conseils et les mesures de prévention (Iaire/IIaire/IIIaire) permet à ses patients de rester indemnes de pathologies, peut ne pas être rémunéré autant qu’un praticien dont le modèle économique fonctionne essentiellement sur la restauration, la prothèse ou des actes lourds. C’est problématique.
On entend beaucoup de parler d’efficience, de pertinence, d’objectifs de santé publique, cela semble être dans l’air du temps ?
Oui, tout à fait. Il faut situer le contexte. Les dépenses de santé, en proportion du PIB, ne cessent de croître dans la plupart des états. A meilleur niveau de vie, plus grande dépense en santé. La croissance économique ne résout donc pas le problème, chaque Etat doit donc faire des choix : comment contenir cette évolution, ou tout du moins s’assurer que cette dépense est justifiée par des résultats mesurables sur les populations.
Les gouvernements, ou agences de santé, s’assurent ainsi que dans le cadre d’un financement public les ressources sont utilisées de la manière la plus efficiente qui soit. Si la Chirurgie-Dentaire a été, pendant un certain temps, oubliée de ces évaluations économiques, le fameux changement de paradigme est arrivé.
On sait depuis désormais depuis plus de 20 ans que l’Evidence-Based est une méthode incomplète pour justifier des allocations de ressources : il faut mesurer le rapport coût -efficacité/utilité (efficience). Un traitement pourra être deux fois plus efficace, mais s’il est 5 fois plus cher, la question se pose de savoir si sa prise en charge est justifiée au détriment d’autres traitements, qui auraient pu être proposés à un plus grand nombre.
L’OMS, tout comme les agences comme la HAS et les ministères veulent savoir si chaque euro dépensé pour un traitement est au mieux utilisé, au sein de la discipline (ici l’Odontologie) et entre les disciplines médicales.
Il faut donc s’attendre à évolution des rémunérations, fonction de leur valeur ajoutée à la santé bucco-dentaire, et générale, du patient.
Quelles sont donc les conclusions de ce groupe de travail ?
4 éléments de travail ont été retenus, qui seront dans un rapport à paraître dans les prochaines semaines. Un sommaire exécutif est disponible dès à présent.
La première étape est de connaître la valeur ajoutée (en termes de santé globale, de qualité de vie, de bien être, d’impact économique) de ce futur sans pathologies carieuses nécessitant des restaurations (invasives). Cela passe par des évaluations économiques, aujourd’hui devenues indispensables pour justifier n’importe quel traitement.
La deuxième est de travailler sur les nouveaux systèmes de rémunération. Il est essentiel de ne pas repartir de 0 : certaines expérimentions ont démontré les efficacités relatives de la tarification à l’acte, et de la capitation. Des méthodes hybrides sont envisageables, ainsi que des paiements à la performance. C’est un avis personnel, mais la mise en place de prototypes d’expérimentation de ces nouveaux systèmes permettrait d’en évaluer l’efficacité réelle, plutôt que d’en imaginer les résultats. Nous avons désormais tous les moyens pour le faire.
Le troisième axe est un sujet lui aussi d’actualité, la collaboration interprofessionnelle, qui permet aux soignants de s’inscrire dans un parcours vis-à-vis de pathologies aux facteurs de risques communs (Maladies Non Transmissibles). Enfin, des actions sur les comportements publics et industriels sont essentielles, des exemples applicables de mesures seront publiées prochainement dans le rapport. De récentes actions mises en place, telles que le brossage obligatoire dans les écoles, les taxes sur les produits sucrés, les changements de recettes dans les produits préparés peuvent avoir un impact non négligeable.
L’ensemble des participants a déclaré sa satisfaction vis-à-vis de ce groupe de travail, un deuxième plus spécifique est prévu pour l’année prochaine.
D’une manière générale, il est important que la profession s’empare de ces problématiques, forme des groupes de réflexions interdisciplinaires, et devienne force de proposition.
Nous espérons que le rapport pourra aider ces initiatives. C’est une ère très intéressante qui nous attend, avec de véritables chantiers, en termes de recherche, de changement, de santé publique et d’optimisation des systèmes de santé. Saisissons cette opportunité !
Des infographies complètes sont à retrouver ici et ici.
Marco Mazevet est diplômé en chirurgie dentaire (Université de Rennes 1) depuis 2016. Il est actuellement doctorant en Économie de la santé au King’s College de Londres, et chargé de recherche et développement pour l’alliance pour un futur sans caries (ACFF).