Les Chroniques de PAL #3 – L’espingouin

Par Les Chroniques de PAL le 23-05-2017

Dans la vie d’un chirurgien-dentiste, il y a des hauts, des bas, des prises de têtes et des coups de cœur. Mais il y a aussi beaucoup d’humour ! Les Chroniques de PAL, c’est justement ces petits moments de la vie d’un confrère qui prend la vie au 3ème degré, avec une plume acérée, des propos très imagés et une passion certaine. Régulièrement le Dr PAL nous fera l’honneur de partager avec nous ses “Cas cliniques”, pour notre plus grand sourire !

Les Chroniques de PAL

Norme allemande, après un mois de vacances, on devrait tous péter la niaque. Ben pas moi !

D’abord, rien que d’avoir deux trucs à penser en même temps, ça me farcit le chou, y a surchauffe dans la cervelle. Deuzio, même le matos n’a pas envie de se remettre à besogner. Tout merdoie : le computeur ne s’allume pas, l’aspi n’aspire pas, la zouillette ne zouille pas, et j’en passe…Troizio, la patientèle me saute dessus pour m’accabler des ses pépins dentaires. Ah elles sont loin, les randos du matin sur les petits sentiers côtiers de la Cornouaille !

Oui parce que l’Espagne, ter-mi-né ! Disons-le franco : l’espingouin est fourbe. D’accord, y a la calor, y a la cerveuzâ, la sangria et la paëlla. D’accord, l’autochtone roucoule comme Roulio Essuiglas, mais faut pas s’y fier ! N’omettons jamais que l’Ibère n’aime rien tant que de massacrer le bovidé.  Il exulte quand un maigrichon sapé en poiscaille se trémousse autour d’un bestiau transpercé de partout et agonisant au bout de sa fressure. Z’ont l’ goût du sang, ces mecs-là ! Et puis l’Ibère est en colère, c’est congénital. Y a qu’à voir, même quand il pourrait tranquillos guincher une p’tite java avec sa bonne femme, ben non, faut qu’il tire une tronche de bandit corse en pétard et qu’il file des grands coups de talon au parquet !

J’étais déjà circonspect. Mais le coup de grâce, l’estocade, c’est M’sieur Ramirez qui me l’a portée ! Voilà un gars qui, en dépit d’une paralysie des zygomatiques, ne semblait pas nerveux pour une pésète. L’avait plutôt l’air bonasson d’un retraité pépère. Eh ben il a bien failli me balancer un pilon dans le groin, en version Cassius ! Oyez plutôt :

L’individu est un vieux client de la boutique, puisqu’il a connu feu mon prédécesseur à ses débuts dans le turbin. Il a beau vaquer dans l’Hexa-Gaule depuis quarante piges, on comprend toujours que dalle à quoi qu’y dit, tellement qu’il bouffe toutes les consonnes comme s’il avait dix dragées dans le clapoir. Environ une fois de temps en temps, il sollicite nos hautes compétences, mais c’est juste pour un piquotis ou un grattouillis, vu qu’au niveau de la tritureuse, c’est quasi un hippopotame: un massicot carré surpuissant, des pavés mastoques, aplatis et jaunasses, mais en granit. Tout est donc désespérément inexploitable pour l’homme de l’art, sauf une vieille couronne en ferraille sur 26, datant probablement de la dictature du Godillot, qui ne lui cause aucun tracas mais qui n’ a pas suivi la gencive dans son ascension de trois millimètres. Alors, étant de l’école holistico-consciente, j’y explique à chaque fois qu’il serait de bonne dentisterie, nonobstant a fortiori ipso facto stricto sensu, de remplacer l’antiquité par une pièce high-tech dont la rutilance le disputerait à la durabilance.

Or donc, l’hispanique se pointe dernièrement, me baragouinant qu’il se décide enfin à suivre mon docte conseil.
« Voilà qui est sage, amigo mio ! Ouvrez donc la bouche, pour faveur. »

Action !
Légère cocaïnisation de la zone pour le bien-aise du sujet, une petite fentillette, comme dans du beurre, sur la face externe de la bague dysajustée, un petit trohu sous le plafond, et Wam ! Je décapsule l’organe avec la virtuosité et le fignolé du geste par lesquels on reconnaît la signature exclusive du clinicien de haut vol.
Jubilation ! Le meugnon est intact, totalement momifié par l’oxyphosphate !

Nous dépouillons a minima, et clichons aux fins d’analyser finement l’endodonte : nous avons à faire, très probablement, à une bonne vieille pâ-pâte eugénolée, mais elle fut si magistralement lentulée jusqu’aux constrictions que les trabécules environnantes en sont visiblement benoîtes.

Y a pu qu’à !

Tandis que Rosé – c’est son préblase, défense de rire ! – molarde bruyamment, je procède aux malaxage et spatulage classiques. Bite-tray dedans le site, j’emprunte la wash classique : du hard d’abord, puis, trois minutes plus tard, je décharge et réitère l’opération, mais tout en ductilité. J’invite enfin le transpyrénéen à riper ses galoches pour reviendre la semaine suivante.

Béni soit mon proto ! Le joyau inoxydable et étincelant s’ajuste alors au quart de poil et je le sertis sur le chicot en moins de deux. Olé !

Assistante ! La couenta pour le signor !

Mais z’hélas !
Quinze jours plus tard, le dit-Ramirez nous tube et reprend rencard au motif qu’il aurait mal en briffant de la bidoche. Il a qu’à boulotter du poisson, me direz-vous, mais j’ulcérise, car je subodore qu’il va me désarçonner par la couillonnade habituelle : « J’avais pas mal avant, j’ai mal après. C’est quand même pas normal ! »

Le lendemain, el hombre déboule en tirant la renfrogne. Gardant ostensiblement un air aussi serein que rompu à ce genre de désagrément post-op, j’y cause de la petite arthrite passagère, prend une p’tite radio (RAS), sous-occluse et le reconduis à l’huis avec une p’tite boîte de Nurofen. Vouaaaalà ! Allez, adios, hein !

Mais Pal, en lui-même, de fumer par les portugaises, car, par St Ptôme, qu’est-ce-que-c’est-que-ça-que-c’est ? Y a pas de surocc, y a pas un angström de libre pour un quelconque microbilcule, et je n’ai que caressé ce chical ( des chicots) silencieux depuis un demi-siècle. Alors, quoi ? Pur cinoche ? Masticage intempestif sur une carne trop cuite ? Je me perds en jectures pendant trois jours, puis, emporté par le tourbillon de la vie, oublie le cas clinique.

Mais z’hélas !
Quinze jours plus tard, le dit-Ramirez déboule sans prévenir sur les couilles de midi. Pas glop! D’autant que l’assistante vient m’informer que son faciès de toro fumant des naseaux n’augure pas franchement de cordiales dispositions. Fichtre ! Flageolant dans mon bénouze, le palpitant en pompage maximum, j’affronte avec bravoure un véritable fauve au regard assassin.
« Il arrive parfois, cher monsieur, qu’un minime – mais pernicieux, je vous l’accorde- réveil infectieux accompagne un tel acte opératoire. Aussi je vais vous prescr… »
« J’en ai malle de vos complimés !! Vous m’allachez la dent !! Tout de suite !!! J’ paltilai pas d’ici !!! » beugle en bavant le forcené.

Ah, douceur andalouse !

Pendant que, flegmatique, je me repeigne sommairement et m’éponge la face qui dégouline de postillons castillans, mon cortex analytique me souffle les éléments du dilemme.

Mon Pal, me dit-il :

  • soit tu tentes, par deux manchettes, un Double-Nelson et une clé à la verge, de maîtriser la brute épaisse pour l’éjecter manu dentisteri. Mais le mobilier va morfler !
  • soit tu phones les poulardins, mais ça manque un peu de chevalerie.
  • soit, dans un esprit de paix et de préservation des intégrités physiques, tu exauces le désir clairement ci-exprimé du client.

Je suis ceinture jaune de yoga, de gabarit mi-mouche et de tempérament câlin. J’ai avulsé.

A lire aussi : 
Les Chroniques de PAL #1 – Une famille en or
Les Chroniques de PAL #2 – Litige

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Ou commandez le livre Dr PAL, Les plus beaux cas cliniques

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