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Paro-implantologie : la nouvelle classification – les 2 premières réponses d’experts

Par Sofia AROCA, Marie-Eve BEZZINA le 08-10-2019  

Suite à l’article de Michel ABBOU en date du 03-09-2019 Paro-implantologie : de l’intérêt d’une classification à la pratique d’une thérapie, nous donnons la parole à deux praticiennes expertes en parodontologie pour argumenter sur cette même thématique. D’autres experts sont d’ores et déjà dans les starting-blocks pour nous faire part de leurs visions respectives en la matière ; nous ne manquerons pas de les publier dans un prochain numéro…


Réponse n°1
Dr Sofia AROCA (Paris)
Aroca

L’article de Michel ABBOU me parait complet, sincère et d’une logique clinique épatante.

Pour moi, ce qui me semble important de souligner dans cette nouvelle classification est qu’elle a le mérite, pour une fois, de mettre l’accent clairement sur le patient dans sa totalité et non seulement se limiter aux états pathologiques de la cavité buccale.

En utilisant cette nouvelle classification, le clinicien devra considérer que le parodonte est un organe qui est susceptible de devenir un indicateur de l’état général du patient, et que celui-ci influence le cours de la maladie parodontale. Les données scientifiques sont innombrables concernant la relation entre les maladies parodontales et certaines pathologies systémiques. Donc il est important de comprendre ce que facteur de risque et facteur étiologique veulent dire, il ne s’agit pas seulement d’un exercice de sémantique lexicale, mais de plonger dans la vraie étiologie de la maladie en évaluant les facteurs de risque pour dresser un diagnostic qui nous guidera dans un plan de traitement individualisé pour chaque patient.

Cette classification a aussi le mérite, à mon humble avis, de nous aider à réfléchir sur les limites de certains traitements qui pourraient s’avérer néfastes pour le patient et peut-être à avoir moins d’échecs.


Réponse n°2
Dr Marie-Eve BEZZINA (Nice)
Bezzina

À propos de la nouvelle classification…

À la première lecture, nous pouvons penser : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » ?
Nous y trouvons beaucoup de tableaux, beaucoup de colonnes, beaucoup de lignes.

En relisant cette classification, nous nous rendons vite compte qu’en fait elle n’est pas compliquée mais complexe, car exhaustive (en l’état actuel de nos connaissances).

En 20 ans, les connaissances sur l’étiologie, la pathogénie et les possibilités de traitement ont beaucoup évolué.

Nous comprenons de mieux en mieux ces maladies. Cependant, à ce jour, un patient atteint de parodontite le reste durant toute sa vie. Même si son traitement est couronné de succès, le patient devra suivre un programme de maintenance pour éviter la récidive [1]. Nous parlons plutôt de stabilisation et de maintenance des maladies parodontales que de guérison.

Des experts du monde entier ont travaillé depuis 2015 sur 19 publications de synthèse couvrant la parodontologie et l’implantologie. Leur but étant d’actualiser, de compléter et d’étendre aux conditions péri-implantaires la classification de 1999 (Armitage 1999) [2 ; 3], donc d’actualiser une classification vieille de 20 ans.

Fig 1

Aujourd’hui, il n’y a pas de parodontie, non chirurgicale, médicale, chirurgicale, d’école X ou de méthode Y. Il n’existe qu’une seule parodontie, celle qui suit les avancées médicales et technologiques validées par la littérature scientifique.

Certaines maladies parodontales ont un impact systémique reconnu et réciproquement [4 ; 5 ; 6]. La bouche est révélatrice de la santé en général. Une pathologie parodontale non traitée peut non seulement conduire à la perte des dents et des implants, mais peut favoriser un accouchement prématuré, déstabiliser une glycémie, favoriser le dépôt de plaque d’athérome… Depuis peu, nous suspectons même Porphyromonas Gingivalis d’être un cofacteur de la maladie d’Alzeihmer et d’autres pathogènes parodontaux d’être en lien avec certains cancers. [7 ; 8 ; 9 ; 10]

Un patient qui a une parodontite de Stade III Grade C (anciennement appelée parodontite agressive avec 70% de perte d’attache en moyenne) diabétique et fumeur ne pourra pas être pris en charge de la même manière qu’un patient qui a une parodontite de Stade II Grade B (parodontite chronique avec 25 % de perte d’attache en moyenne) en bonne santé et avec des facteurs de risque de récidive faibles.

Il est donc primordial, pour établir un diagnostic précis, d’évaluer des facteurs de risque de progression, de récidive de la maladie, et de tenir compte du profil médical du patient.

Avant de remplacer des dents, quel que soit le type de plan de traitement et de prothèse envisagée, il est important de bien comprendre la ou les pathologies, le contexte et les facteurs aggravants qui ont dégradé la bouche du patient.

Le praticien doit commencer toutes ses réhabilitations prothétiques dento ou implanto-portées dans une bouche en bonne santé.

Cette nouvelle classification nous permet donc de pouvoir mieux évaluer le terrain sur lequel on va avancer et « construire » ou « reconstruire ».

La plupart des parodontites en 2019 se traitent et se stabilisent lorsque le diagnostic est bien posé. D’où l’intérêt de cette nouvelle classification.

Elle nous permet d’identifier spécifiquement le type de parodontite, la description des signes cliniques et des autres éléments qui peuvent affecter le traitement, le pronostic et la santé buccale.

Finalement, après lecture et relecture de cette nouvelle classification, nous la comprenons et la trouvons plus simple.

Quatre grandes catégories sont à retenir :
– le parodonte sain et les maladies gingivales ;
– les parodontites (dans les parodontites sont regroupées ce que l’on nommait jusque-là les P. chroniques et les P. agressives) ;
– les autres atteintes parodontales ;
– les conditions péri-implantaires saines et pathologiques [2 ; 3].

Cette classification en stade et en grade est inspirée d’un système utilisé en oncologie qui :
• Individualise le diagnostic et nous aligne sur les principes de médecine personnalisée.
• Prend en compte l’étiologie multifactorielle de la maladie pour faciliter des soins optimaux et optimiser le pronostic.

Le Stade permet :
• De classer la gravité et l’étendue de la destruction et des dommages tissulaires attribuables à la maladie.
• D’évaluer la complexité, les facteurs spécifiques propres à ce patient, gérer la fonction et l’esthétique de la dentition du patient à long terme.
• D’estimer le risque futur de progression de la parodontite et d’avoir une réactivité aux thérapeutiques standards pour guider la surveillance systémique et avoir une co-thérapie avec les collègues médicaux.

Fig 2

Le Grade doit être utilisé comme indicateur :
• Du taux de progression de la parodontite
• Des problèmes systémiques
• Du risque de récidiver [3]

Fig 3

Pour pouvoir créer un arbre décisionnel consensuel, un diagnostic très précis s’imposait. Les experts ont passé en revue toutes les possibilités de pathologie afin de rendre le diagnostic le plus affiné possible.
En découlera certainement plus facilement un « arbre décisionnel » prochainement… Soyons confiants !

Traiter-Conserver ou Extraire-remplacer ? Pourquoi et Comment ?

Quel que soit le choix thérapeutique du praticien en accord avec le patient, nous devons nous assurer de travailler sur un parodonte sain.

Comme le souligne le Dr Michel ABBOU, il ne faut jamais oublier d’écouter le patient ; nous devons chercher à répondre le plus possible à ses attentes et/ou à ses fantasmes.

Quand nous avons une demande esthétique ou prothétique non réalisable après un éventuel traitement parodontal, nous pouvons prendre des décisions d’extraction plus rapidement. Puis, assainir et implanter dans des conditions optimales et chercher à faire diminuer et contrôler le plus de facteurs de risques.

Les patients à haut risque parodontal auront autant, voire plus de risques de perdre leurs implants que leurs dents. Ils ne toléreront pas la moindre négligence prothétique (profil d’émergence, embrasures, sur-occlusions…).

De nombreux auteurs, dans des revues systématiques de la littérature, ont mesuré l’impact de la maladie parodontale sur la survenue d’une péri-implantite. [11 ; 12 ; 13 ; 14 ; 15 ; 16]

Van der Weijden et coll., 2005 [13] ont évalué le succès à long terme (supérieur à 5 ans) des implants placés chez des patients édentés partiels avec des antécédents de maladies parodontales. Les auteurs concluent que les résultats obtenus chez les patients avec des antécédents de maladies parodontales sont significativement différents de ceux obtenus chez les patients sans antécédents de maladies parodontales. [17]

Des implants placés sur un patient qui a une parodontite anciennement nommée parodontite agressive auront entre 30 à 40 % d’échecs, de 5 à 9 ans après implantation.

Nos connaissances sur les maladies péri-implantaires sont encore incomplètes. Ce qui doit nous rendre très vigilants.

Dans les années 2000, il y a eu « la ruée » sur l’implant comme solution miracle à tous nos problèmes dentaires. Nous étions soulagés de penser avoir enfin trouvé « la solution ».

Nos patients, quant à eux, pensaient avoir de nouvelles dents sur implants à vie…

Nous n’imaginions pas connaître 20 ans après le « Tsunami » de pathologies péri-implantaires que nous connaissons aujourd’hui.

En réalité, supprimer les potentiels foyers infectieux résiduels parodontaux en extrayant les dents restantes ne suppriment en rien la présence des facteurs de risque de progression et de récidives de la maladie parodontale [18] (génétique, tabac, stress, contexte médical… qui peuvent hormis la génétique changer au cours de la vie).

Supprimer la présence des pathogènes ne fait pas tout !

Un patient à risque parodontal faible en 2019 peut devenir, suite à un cancer (facteur de risque médical), un divorce (facteur de risque stress plus tabac !) ou autre, une personne à risque fort de développer une parodontite et une ou péri-implantite.

Pour le moment, les experts s’accordent à dire qu’il n’y a pas encore de consensus pour le traitement des péri-implantites, même si différentes approches permettent de maîtriser une partie de ces pathologies.

Tant que nous ne pouvons pas dire à nos patients « vos implants dureront toute votre vie », nous devons agir avec beaucoup de prudence et de réserve.

Combien de générations d’implants pourront être supportées par la bouche et les finances d’un patient atteint de maladie parodontale, implanté pour la première fois à 35 ans et qui a aujourd’hui une espérance de vie moyenne de 83 ans ?

C’est un vrai problème de santé publique, et il convient de favoriser la prévention.

Prévenir au maximum l’arrivée des parodontites, les diagnostiquer le plus tôt et le plus précisément possible pour garder ses dents naturelles.

Le cas échéant, nous devons impérativement assainir le terrain (parodontal et systémique) avant de reconstruire au niveau prothétique, avec ou sans implants.

Les différentes structures d’enseignement en Parodontie ont pour devoir de démystifier cette nouvelle classification afin de la rendre accessible et exploitable par tous les dentistes.

Les cliniciens doivent profiter de ces nouvelles connaissances et adapter leurs conduites thérapeutiques à la lumière de cette nouvelle classification dans leur intérêt et surtout celui de leurs patients.

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

[1] C.Armitage & P.Xenoudi – Post treatment supportive care for the natural dentition and dental implants.
Periodontol 2000. 2016 Jun;71(1):164-84

[2] Caton JG, Armitage G, Berglundh T, Chapple ILC, Jepsen S, Kornman KS, Mealey BL, Papapanou PN, Sanz M, Tonetti MS – A new classification scheme for periodontal and peri-implant diseases and conditions – Introduction and key changes from the 1999 classification.
J Periodontol. 2018 Jun;89 Suppl 1:S1-S8

[3] Papapanou PN, Sanz M, Buduneli N, Dietrich T, Feres M, Fine DH, Flemmig TF, Garcia R, Giannobile WV, Graziani F, Greenwell H, Herrera D, Kao RT, Kebschull M, Kinane DF, Kirkwood KL, Kocher T, Kornman KS, Kumar PS, Loos BG, Machtei E, Meng H, Mombelli A, Needleman I, Offenbacher S, Seymour GJ, Teles R, Tonetti MS – Periodontitis: Consensus report of workgroup 2 of the 2017 World Workshop on the Classification of Periodontal and Peri-Implant Diseases and Conditions
J Periodontol. 2018;89(Suppl 1):S173–S182.

[4] Kocher T, König J, Borgnakke WS, Pink C, Meisel P – Periodontal complications of hyperglycemia/diabetes mellitus: Epidemiologic complexity and clinical challenge.
Periodontol  2000 Oct;78(1):59-97

[5] Jepsen S, Caton JG, Albandar JM, Bissada NF, Bouchard P, Cortellini P, Demirel K, de Sanctis M, Ercoli C, Fan J, Geurs NC, Hughes FJ, Jin L, Kantarci A, Lalla E, Madianos PN, Matthews D, McGuire MK, Mills MP, Preshaw PM, Reynolds MA, Sculean A, Susin C, West NX, Yamazaki K. Periodontal manifestations of systemic diseases and developmental and acquired conditions: Consensus report of workgroup 3 of the 2017 World Workshop on the Classification of Periodontal and Peri-Implant Diseases and Conditions.
J Periodontol. 2018 Jun;89 Suppl 1:S237-S248

[6] Martín A, Bravo M, Arrabal M, Magán-Fernández A, Mesa F – Chronic periodontitis is associated with erectile dysfunction. A case–control study in european population.
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Rev Epidemiol Sante Publique. 2016 Apr;64(2):113-9.

[8] Carter CJ, France J, Crean S, Singhrao SK – The Porphyromonas gingivalis/Host Interactome Shows Enrichment in GWASdb Genes Related to Alzheimer’s Disease, Diabetes and Cardiovascular Diseases.
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Br J Cancer. 2018 Feb 6;118(3):428-434

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[15] KAROUSSIS I.K, KOTSOVILIS S., FOURMOUSIS I – A comprehensive and critical review of dental implant prognosis in periodontally compromised partially edentulous patients.
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J Clin. Periodontol., 2007, 34 (9), p.805-815.

[17] Sousa V, Mardas N, Farias B, Petrie A, Needleman I, Spratt D, Donos N. – A systematic review of implant outcomes in treated periodontitis patients.
Clin. Oral Impl. Res. 27, 2016, 787–844

[18] Genco RJ, Borgnakke WS – Risk factors for periodontal disease.
Periodontol 2000. 2013 Jun;62(1):59-94.

 

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